Ce que nous demandons à la littérature ne tient pas au loisir. Mais bien à notre rapport au monde. Nous n'en attendons pas leçon, mais nous lui demandons d'agrandir nos questions, de nous aider à être plus forts pour déchiffrer le réel. Et ce n'est pas, pour un auteur, le moindre défi. On connaît Loti pour ses romans : ils vieillissent. Mais ses carnets de voyage, et les récits par lesquels il se saisit à bras le corps d'un minuscule fragment de réel et nous l'offre, on a encore ce continent d'écriture devant nous. Le livre de la pitié et de la mort, central dans l'oeuvre de Loti, rassemble une série de textes autobiographiques ayant tous pour objet le rapport à la mort, ses rituels.
Rien de morbide ni de glauque : ce que nous approchons, ce sont les maisons, ces deux chaises de jardin où les deux soeurs âgées vont s'asseoir tandis qu'on enterre le chat, mais qu'on retrouvera lorsque la tante Claire, une des deux soeurs, passera elle aussi. Si Loti aborde ce qui ne peut se décrire, c'est en toute connaissance de la leçon à prendre pour l'art des histoires : la présence et les visages, comme ces enfants malades de Pen-Bron (le cimetière en existe toujours), ou ces scènes de son quotidien d'officier naval (lire aussi cette exhumation de marins morts, dans mon Aimez-vous assez Loti ?). L'écriture, depuis le XIXe siècle finissant d'où nous vient Loti, jusqu'à notre atelier contemporain, n'a cessé de se donner pour tâche l'immédiat présent. C'est ce qui fait la haute modernité de ce qui se joue ici sous ces textes, l'éclatement à quoi ils procèdent, dans l'ordre pourtant le plus élémentaire. FB Photographie de couverture (et insérée début du livre) : Jacques Bon.
Pierre Loti fut par excellence l'écrivain du voyage, Au Maroc, Vers Ispahan, L'Inde (sans les Anglais), le triptyque sur la Terre (Le Désert, Jérusalem, La Galilée) parus chez le nième éditeur, en témoignent.
C'est la partie la plus singulière et la plus durable de l'oeuvre de Pierre Loti. Surprenante histoire d'arroseur arrosé, ce court récit de Loti est des moins connus, sans doute parce qu'il fait peur. La farce burlesque y cache le spectre grimaçant d'un mal horrible qui n'épargne ni les " dames " algériennes de ce faux conte oriental ni les jeunes matelots français chers au coeur de Loti. Texte agressif et virulent, ce serait un pamphlet si ce n'était aussi un admirable poème en noir et blanc dédié à la Kasbah d'Alger.