Salué par Henry James comme par J.-L. Borges, traduit en des dizaines de langues, Pêcheur d'Islande , paru en 1886, est le plus célèbre des livres de Pierre Loti. Mais se rappelle-t-on bien la force que recèle ce grand roman « breton » ? C'est une véritable tragédie de la mer qui s'y joue. Elle s'ancre dans la peinture réaliste et fantastique d'un métier et d'une région alors mal connus.
Elle met aux prises des personnages de passion dont la violence fait écho à de puissants paysages et aux tourments de la propre existence de l'écrivain. Du grand art, soulignent les préfaciers Bruno Vercier et Alain Quella-Villéger, qui ont dirigé cette édition assortie d'éclairages nouveaux et d'une iconographie souvent inédite.
Pierre, le prénom adopté par l'officier de Marine Julien Viaud (1850-1923) pour compléter son nom de plume Loti, a pu être emprunté à l'athlétique matelot Pierre Le Cor, alias Yves Kermadec, son grand ami, son « frère » Yves...
L'écrivain fait oeuvre pionnière d'autofiction avec ce récit, paru en 1883, qui annonce Pêcheur d'Islande (1886), son autre roman breton. Avant Mac Orlan ou Jean Genet, il apporte sa pierre à la mythologie de la mer et des ports, Brest en tête. L'alcool, souvent, coule à flots dans ses « histoires de la vie ». Tiraillé entre la règle et l'instinct, l'excentrique officier Loti est fasciné par un renard tatoué sur la peau d'un marin, par des matelots qui dansent entre eux « comme des animaux à l'état libre », par Yves qu'il tire de l'ivresse.
C'est un roman un peu fou et palpitant, sombre et gai, aux personnages puissants. Sans doute le plus surprenant de son auteur. « Les histoires de la vie, écrit-il à sa toute fin, devraient pouvoir être arrêtées à volonté comme celles des livres... »
" Je regarde finir l'été, finir l'Orient, finir ma vie ; c'est le déclin de tout. " Le dernier livre de Pierre Loti, sans doute le plus poignant, est nourri de ses ultimes voyages à Constantinople et jusqu'à Andrinople, en 1910 et 1913. L'auteur d'Aziyadé ne reviendra plus sur la tombe de sa bien-aimée. Il ne reverra plus, à Stamboul, " la véritable futaie de minarets blancs " ni les " humbles cafés d'autrefois, refuges de cette vie contemplative et débonnaire que l'Europe ne saurait plus longtemps tolérer ". Hanté par " le temps [qui] fuit toujours plus vite ", il apparaît, selon son biographe, Alain Quella-Villéger, pleinement " maître de son art ".
Et Loti, qu'on a souvent réduit à un " écrivain des jours heureux ", s'engage. Avant-guerre comme après-guerre, il se fait " le champion de la cause turque, du maintien du Croissant sur les rives du Bosphore ". Quitte à s'égarer lorsqu'il s'en prend aux Arméniens, aux Bulgares, à " la Grécaille ". Mais s'égare-t-il quand, " devant la menace d'un soulèvement général de l'Islam ", il préconise de " renoncer à une folle gloutonnerie de conquêtes " et de " tendre la main à l'Islam qui nous a fourni sans marchander tant de milliers de braves combattants " oe
De 1870 à 1872, à la faveur d'escales sur les côtes américaines, le jeune officier de Marine Julien Viaud découvre « les débris de la race indienne » en Nouvelle-Écosse, les Basques d'Uruguay, des tribus perdues de la T erre-de-Feu, les belles Carmencita de Valparaiso, la fête à San Francisco... Curieux, ardent, il dessine gens et paysages, prend des notes, publie ses premiers articles qui annoncent le grand Loti.
Bien plus tard, en 1912, la première mondiale de La Fille du ciel, sa pièce «chinoise» coécrite avec Judith Gautier attire l'auteur d'Aziyadé pour six semaines à New York, cette « Babel effrénée » dont il se plaît à rapporter la vision pleine d'ironie d'un « Oriental très vieux jeu ».