Camus voulait exprimer dans La Peste (1947) les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Mais, pour tous ceux qui ont découvert le roman à l'époque de la pandémie de Covid-19, cette allégorie a pris un tout autre sens, et d'autres aspects ont acquis une importance capitale : la sensibilité de Camus face à la maladie et à la séparation, son expérience d'un mal contagieux, la psychologie et la politique d'une ville en quarantaine.Écrit sous forme d'un dialogue, dans le temps suspendu d'un confinement mis à profit pour relire, analyser et retraduire La Peste, cet essai offre un passionnant aller-retour entre passé et présent, États-Unis, France et Algérie. Au-delà d'une analyse indispensable du roman de Camus, Alice Kaplan et Laura Marris nous rappellent les fonctions essentielles de la littérature : explication, consolation, transfiguration.
Une page blanche, un début de roman. Comment démarrer une histoire ? Comment trouver les premiers mots et entraîner le lecteur avec soi ? La lecture est un jeu qui exige la participation active du lecteur, avec son expérience, sa candeur, sa perspicacité, son ingéniosité. Les pactes introductifs jouent parfois à cache-cache, manquent à leur promesse, la tiennent inopinément, invitent à entrer dans un labyrinthe... Il faut savoir déjouer les pièges, lire entre les lignes.C'est dans cet univers d'incipit de grands romanciers tels Kafka, Gogol, Gabriel Garcia Marquez, Tchekhov, Elsa Morante et bien d'autres qu'Amos Oz nous entraîne avec L'histoire commence, véritable introduction à l'apprentissage de la lecture «au ralenti».
«Je partage le quotidien mental de Mario Vargas Llosa depuis cinquante ans. Il m'a fallu assumer ses fantasmes et ses obsessions. En vérité, ce que je n'ai pas vécu, je l'ai rêvé. J'ai habité ses rêves, mettant mes pas dans ceux du grand homme, mimant fraternellement ses gestes, choyant sa voix. Moi, son double, son singe. Son autre moi.»Dans cet essai personnel, Albert Bensoussan interroge cette relation si particulière qui unit l'auteur à son traducteur. Il offre la meilleure synthèse de l'oeuvre du romancier hispano-péruvien, Prix Nobel de littérature et académicien français. Il nous fait redécouvrir les multiples facettes de cet auteur tout à la fois réaliste, politique, fantaisiste, épris de liberté, inlassable contempteur des dictatures latino-américaines. Mario Vargas Llosa nous apparaît comme un véritable classique moderne : un contemporain capital.
Erri De Luca fréquente la Bible depuis longtemps. Sa connaissance des Écritures ne doit pourtant rien à la foi ou à un quelconque sentiment religieux:De Luca se dit non croyant, incapable de prier ou de pardonner. Il est néanmoins habité par le texte biblique au point de commencer presque chaque journée par la lecture et la traduction d'un passage. Les courts textes rassemblés ici témoignent de ce corps-à-corps quotidien avec la Bible et de ces exercices matinaux qui lui donnent matière à réfléchir, comme un noyau d'olive qu'il retournerait dans la bouche tout au long de la journée.Un ton très personnel caractérise les commentaires de De Luca:leur approche est aisée même pour qui ne connaîtrait pas bien la Bible. Le romancier italien ne cherche pas à s'avancer sur le terrain de la théologie, mais seulement à rendre compte de ses lectures quotidiennes qui résonnent en lui, structurant à la fois sa vie et son écriture. Sa volonté de comprendre le grand texte le conduit la plupart du temps à une attention particulière aux mots hébraïques, à leur sens, oublié ou enfoui par la traduction et la tradition. En reliant à sa vie et à la nôtre des épisodes bibliques souvent connus, il parvient à formuler des observations que le lecteur à son tour n'aura de cesse de retourner dans sa bouche comme un autre noyau d'olive.
Avec Divagations, ce recueil exceptionnel constitue la dernière oeuvre de Cioran écrite en roumain. Vaste ensemble de fragments probablement composés entre 1941 et 1945, ce recueil inachevé et inédit commence par une sentence programmatique : « L'imbécile fonde son existence seulement sur ce qui est. Il n'a pas découvert le possible, cette fenêtre sur le Rien... » Voilà sept ans que Cioran « [moisit] glorieusement dans le Quartier latin », la guerre a emporté avec elle ses opinions politiques et sa propre destinée a toutes les apparences d'un échec : le jeune intellectuel prodigieux de Bucarest a beaucoup vieilli en peu de temps, passé sa trentième année ; il erre dans l'anonymat des boulevards de Paris et noircit des centaines de pages dans de petites chambres d'hôtel éphémères.
Fenêtre sur le Rien constitue un formidable foyer de textes à l'état brut, le long exutoire d'un écrivain de l'instant prodigieusement fécond. Dès les premières pages, un thème s'impose :
La femme, l'amour et la sexualité - terme rare sous la plume de Cioran -, qui surprend d'autant plus qu'il est l'occasion de confessions exceptionnelles : « Je n'ai aimé avec de persistants regrets que le néant et les femmes », écrit-il. On lit aussi, tour à tour, des passages sur la solitude, la maladie, l'insomnie, la musique, le temps, la poésie, la tristesse. Chaque fragment se referme sur lui-même, et l'on note un souci croissant du bien-dire, du style. Peu de figures culturelles, réelles ou non, apparaissent ici, mais dessinent un univers contrasté et puissant : Niobé et Hécube, Adam et Ève, Bach (pour Cioran le seul être qui rende crédible l'existence de l'âme), Beethoven, Don Quichotte, Ruysbroeck, Mozart, Achille, Judas, Chopin, et les romantiques anglais.
Errance métaphysique d'une âme hantée par le vide mais visitée par d'étonnantes tentations voulant la ramener du néant à l'existence, ce cheminement solitaire et amer trouve encore un compagnon de déroute en la figure du Diable, régulièrement invoqué, quand l'auteur n'adresse pas ses blasphèmes directement à Dieu...
«Je ne sais pas ce que je suis, mais je sais ce que j'ai lu», confie le romancier argentin Daniel Link au seuil de cet essai délicieusement personnel. Sur un ton à la fois érudit et badin, il nous parle de cette passion de la lecture à travers laquelle il choisit de se définir. Nous découvrons ainsi ses pratiques successives et éclectiques de lecteur en tant qu'écolier, étudiant, éditeur, journaliste et philologue, mais également en tant que citoyen sous la dictature féroce d'une junte militaire qui interdit des livres, persécute des auteurs et criminalise la lecture. Chemin faisant, Link nous donne les clés des bibliothèques qui l'ont accompagné au cours de sa vie et nous présente ses maîtres et ses auteurs de prédilection, passeurs de livres de tous horizons, qui ont notamment pour noms Borges, Sabato, Cortazar et Piglia, ou Saint-Exupéry, Barthes et Deleuze. Hommage à la lecture, cette Autobiographie vient nous rappeler que les textes qui nous marquent nous réapprennent chaque fois à lire différemment, mais nous aident aussi à mieux comprendre qui nous sommes et le monde auquel nous appartenons.
Ces quatre essais, précédés d'une préface inédite de l'auteur, présentent un concentré de la réflexion de Stefan Hertmans sur le langage et son rapport au silence. S'emparant d'une question cruciale depuis le romantisme, le grand écrivain néerlandophone s'interroge:est-il vrai que l'écriture et la parole nous détournent de l'expérience véritable, de la vie? Pourquoi Hofmannsthal, Holderlin, Jakob Lenz et Paul Celan ont-ils décidé de se taire, et quel recours à ce silence pourrait-on trouver dans l'oeuvre de W. G. Sebald?Étude à la fois érudite et limpide, Poétique du silence révèle l'importance de ces plumes germanophones dans la formation philosophique et linguistique de l'écrivain. C'est une nouvelle facette de l'auteur d'Une ascension qui est ici révélée:le romancier à succès est également brillant théoricien littéraire, et son oeuvre s'éclaire ainsi d'une passionnante lumière réflexive sur sa propre pratique.
Comment un roman peut-il changer le monde? Quels sont aujourd'hui les rapports entre création et société, entre politique et fiction? Deux maîtres de la littérature mondiale tentent de répondre à ces questions et à quelques autres, révélant en même temps les secrets de leur «cuisine littéraire».Selon Vargas Llosa, un livre atteint son objectif quand il est capable de nous extraire de notre quotidien et de nous entraîner dans un monde où la fiction apparaît encore plus tangible que la réalité elle-même. De son côté, Claudio Magris, écrivain du voyage et des frontières, nous montre à quel point la littérature est un espace ouvert où la capacité créatrice de l'écrivain à inventer des fictions rejoint paradoxalement le mouvement de l'écriture vers la vérité.Conduites avec grâce et intelligence par le directeur de l'Institut italien de Lima, Renato Poma, ces quatre conversations entre Claudio Magris et Mario Vargas Llosa mettent en lumière les liens étroits qui existent entre le Nobel péruvien et l'un des plus prestigieux écrivains italiens contemporains.
Recueil inédit, plus riche que ne le suggère son titre, Divagations a été écrit en roumain vers 1945 et constitue un document littéraire essentiel datant de la « seconde naissance » de Cioran à Paris. C'est le tournant de l'après-guerre marqué par une volte-face de la pensée et bientôt par le passage au français. Un lecteur attentif y décèlera de nombreux thèmes et quelques formules, que Cioran traduisit lui-même en français, dans Précis de décomposition (1949). Cet extraordinaire dernier livre, par quoi Cioran voulut en finir avec tout, représente le premier instant de l'âge des contradictions dans lequel l'écrivain est entré.
Recueil de fragments inscrit dans la lignée du Crépuscule des pensées (1940) et du Bréviaire des vaincus (1944), Divagations rassemble environ 230 maximes et aphorismes. Une première vingtaine de pages de fragments offre au lecteur des réflexions sur la mort, la décadence, la vanité, la souffrance, l'existence subjective, sur un ton qui rappelle Chamfort. La philosophie se pose comme « perception de la vanité » des choses et un combat s'initie contre toutes les illusions (y compris la littérature). Progressivement, les paragraphes tendent à s'allonger : le je, mais aussi le tu, s'ajoutent au nous impersonnel des premières pages, et les deux enjeux principaux du livre sont explicitement approchés : la « décomposition » (physique, morale et historique) et l'impossible idéal sceptique. Cioran critique tous les « fanatismes », toutes les croyances, toutes les fois, religieuses ou politiques.
Quelques pages semblent permettre d'entrevoir des échappatoires (la femme : « notre chemin le plus long vers la mort »...), mais il reste que le progrès n'est qu'une suite de fictions, Dieu une maladie, et l'espoir « jouer à colin-maillard au-dessus du gouffre ». Sa plume, de plus en plus corsée, tend maintenant à rappeler Baudelaire. Cioran met enfin en valeur le motif du suicide, qui divise l'humanité en assassins et en suicidés, et constitue une précieuse source de libération de soi au sein du calvaire de l'existence. Le livre s'achève sur un exceptionnel autoportrait de l'auteur en « homme en dehors des choses », qui s'est délesté de toute conviction pour mieux se livrer au Néant.
Au mois d'octobre 1965, Jorge Luis Borges donne quatre conférences sur l'histoire du tango devant un groupe d'admirateurs et d'amis réunis à Buenos Aires. Ces conférences seront secrètement enregistrées par l'un des invités, le journaliste et écrivain galicien Manuel Román Rivas. C'est bien lui qui, plus de quarante ans plus tard, remet les enregistrements à un autre journaliste espagnol, le basque José Manuel Goikoetxea. Mais celui-ci ne connaît pas Borges et ne réussit pas à identifier le conférencier. Intrigué, il transmet les bandes, à son tour, à l'écrivain Bernardo Atxaga, qui, lui, reconnaît aussitôt la voix de l'auteur de Fictions et se rend compte de la valeur de ces documents. Atxaga contacte sans tarder María Kodama, la veuve et ayant-droit de l'écrivain argentin. Elle certifie l'authenticité des enregistrements et autorise la transcription et la publication du contenu en novembre 2013.
Voilà la longue et quelque peu rocambolesque histoire de ce petit livre. Il est pourtant assez simple et accessible : les quatre conférences de Borges parcourent chronologiquement (et d'une manière claire et ordonnée) la genèse, le développement et le rayonnement international du tango, depuis son apparition dans les faubourgs de Buenos Aires vers 1880 jusqu'à son arrivée à Paris dans les premières décennies du XX e siècle. C'est cette période d'un demi-siècle qui intéresse particulièrement l'écrivain car elle lui permet de décrire non seulement le passage d'une Argentine rurale à une Argentine urbaine, mais aussi d'une société traditionnelle à une société moderne et dont la culture s'exporte dans le monde entier.
«C'est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau : c'est le noyau de ce que nous avons à dire.» Primo Levi (1919-1987) n'examine pas son expérience des camps nazis comme un accident de l'histoire, mais comme un événement exemplaire qui permet de comprendre jusqu'où peut aller l'homme dans le rôle du bourreau ou dans celui de la victime. Quelles sont les structures d'un système autoritaire et quelles sont les techniques pour anéantir la personnalité d'un individu ? Quel rapport sera créé entre les oppresseurs et les opprimés ? Comment se crée et se construit un monstre ? Est-il possible de comprendre de l'intérieur la logique de la machine de l'extermination ? Est-il possible de se révolter contre elle ? Primo Levi ne se borne pas à décrire les aspects des camps qui restaient obscurs jusqu'aujourd'hui, mais dresse un bilan pour lutter contre l'accoutumance à la dégradation de l'humain.
La lente avancée du bateau à travers la nuit était comme le passage d'une pensée cohérente à travers le subconscient.
Des deux côtés, baignant dans l'eau d'encre, se dressaient les énormes coffres sculptés de sombres palazzi remplis d'insodables trésors - de l'or assurément, à en juger par la faible lueur électrique jaune qui sourdait parfois par les fentes des volets. l'atmosphère de tout cela était mythologique, cyclopéenne pour être précis : j'étais entré dans cet infini que j'avais contemplé sur les marchés de la stazione et voilà que je passais au milieu de ses habitants, devant une troupe de cyclopes endormis reposant dans l'eau noire et qui, de temps à autre, se dressaient et soulevaient une paupière.
Ossip Mandelstam est né en 1891 à Varsovie. Dès son adolescence, il voyage beaucoup et séjourne en particulier à Paris et à Heidelberg.Rentré en Russie, il publie son premier volume de poésie en 1913 et connaît un succès immédiat. Son second volume de poèmes paraît en 1923 et, en 1928, un recueil de ses textes sur la poésie.En 1934, il est arrêté, et c'est seulement grâce aux interventions de Boukharine et de Pasternak qu'il n'est pas déporté. Exilé à Voronej, il y vit dans le dénuement. La peine d'exil est terminée en 1937, mais il lui reste interdit de s'installer à Moscou.Le 1?? mai 1937, Mandelstam est arrêté et déporté. La dernière lettre adressée à son frère date d'octobre 1938, et c'est probablement vers la fin de cette année qu'il meurt en Sibérie.
Mishima le romancier, Mishima le bodybuilder. Étonnante synthèse, en un seul individu, des mots et des muscles! Le Mishima ultranationaliste, critiquant l'Occident au profit d'un Japon ancestral mythique, cache un homosexuel décomplexé, fréquentant les bars gays et assumant ses fantasmes. Comment comprendre son suicide, le fameux seppuku en 1970:aveu d'échec d'un homme de quarante-cinq ans, ou manière de finir en beauté, avant que la vieillesse ne rende le corps à sa complète décrépitude?Thierry Hoquet analyse la puissance des contradictions au coeur de la vie et de l'oeuvre de Mishima. Beauté et décadence, ivresse et angoisse, jouissance et mort, tradition et modernité, tel est ce «mystère Mishima» qu'il nous invite à explorer.Au-delà de la figure du romancier japonais, ce livre est aussi un essai de philosophie incarnée, sur les différentes formes que prend la virilité, tantôt conquérante, tantôt inquiète.
Faulkner à cheval, Conrad à terre, Isak Dinesen et la vieillesse, Joyce et ses gestes, Stevenson parmi les bandits, Conan Doyle devant des femmes, Wilde en prison, Tourgueniev, Mann, Lampedusa, Rilke, Nabokov, Madame du Deffand, Rimbaud, Henry James, le grand Laurence Sterne... Jusqu'à vingt génies de la littérature sont ressuscités dans ces biographies brèves et inhabituelles, qui se lisent comme de petites nouvelles grâce à la précision, la vivacité et l'élégance de la prose de Javier Marías. Tous ces classiques sont traités ici comme des personnages de fiction, avec un humour et avec une ironie non dénués d'ambiguïté ni de profondeur.
Le volume est complété par six portraits de femmes fugitives ou femmes en fuite, dépeintes avec autant d'intensité que de minutie.
Au fil des pages, ces vingt-six portraits brefs et irrévérencieux de grands écrivains deviennent l'invitation la plus amusante, mélancolique et fascinante à les lire ou les relire.
«Il est temps de mettre les choses au clair : les lieux tranquilles, tels et tels, ne m'ont pas seulement servi de refuge, d'asile, de cachette, de protection, de retrait, de solitude. Certes ils étaient aussi cela, dès le début. Mais ils étaient, dès le début aussi, quelque chose de fondamentalement différent ; davantage ; bien davantage. Et c'est avant tout ce fondamentalement différent, ce bien davantage qui m'ont poussé à tenter ici, les mettant par écrit, d'y apporter un peu de clarté, parcellaire comme il se doit.» Après Essai sur la fatigue, Essai sur le juke-box et Essai sur la journée réussie, des textes inclassables qui ont contribué à le rendre célèbre, le grand écrivain autrichien poursuit ici son exploration littéraire de notre quotidien, et ce quatrième opus de la série surprend le lecteur autant qu'il le séduit.
Dans le dernier volet du polyptyque qu'il consacre à l'exploration littéraire de notre quotidien (après Essai sur le Lieu Tranquille, Essai sur la journée réussie, Essai sur le juke-box et Essai sur la fatigue), le grand écrivain autrichien narre la vie d'un ami «fou de champignons» et transforme le coeur des forêts en lieu d'enchantement.
Peter Handke atteint un degré de sensibilité et de précision, une attention au détail qui n'ont que peu d'équivalents dans le paysage littéraire contemporain. Assis à sa table, muni d'un crayon, il mue ses pérégrinations à la périphérie de nos existences urbaines en campagnes d'observation et poursuit rigoureusement le mot juste.
À la recherche du miracle dans le profane, de ces moments d'exaltation intense où les choses simples se révèlent étincelantes, Peter Handke fait émerger l'utopie du plus ténu.
L'homme aux bras croisés de cézanne occupe tout entier le regard de l'auteur, c'est à peine s'il remarque les différentes montagne sainte-victoire dans la rotonde de l'exposition cézanne, au grand palais.
Or, la montagne sainte-victoire, à peine regardée, ne le lâche plus, au point qu'il va à aix-en-provence, en suit toute la crête à la recherche de ce " point invisible " à l'oeil nu et qui pourtant ne cesse de revenir dans les tableaux de cézanne.
La peinture de cézanne devient une expérience personnelle, une aventure, un voyage, une réalisation de l'espace. elle est vécue comme un lieu du corps ; calme et exaltante à la fois, elle fait insensiblement s'éclairer et devenir anonyme le " soi ".
Regarder un tableau de cézanne, c'est découvrir les assises du monde.
Un jour de novembre 1970, Yukio Mishima, à peine âgé de quarante-cinq ans, se donnait la mort selon le rituel samouraï au quartier général des forces japonaises. Ce geste, qui bouleversa les Japonais et étonna le monde entier, donnait toute sa portée tragique à une existence qui s'était voulue résolument «anachronique».
Trois ans plus tôt, Mishima avait livré l'une des clefs essentielles à la compréhension de ses choix de vie en publiant un essai consacré au Hagakuré, ouvrage composé au XVIIIe siècle par un samouraï retiré du monde pour méditer sur la «Voie du samouraï». Le Hagakuré, livre maudit du Japon de l'après-guerre, est pour Mishima l'oeuvre qui a donné un sens à sa vie, et son auteur, Jocho Yamamoto, est une sorte de frère d'armes spirituel. À plus de deux siècles de distance, ce qui unit ces deux esprits, c'est d'abord une philosophie de la vie comme déploiement de l'énergie intime de l'individu et, plus encore peut-être, une philosophie de la mort : «La Voie du samouraï, c'est la mort.» Mais c'est aussi et surtout une commune protestation contre leur époque.
Ce livre fait entendre par-delà l'histoire deux voix profondément pessimistes qui exaltent avec la même ardeur désespérée «l'utopie» éthique des samouraïs.
Dans ces conférences inédites, données de 1994 à 2004, Michel Tournier accorde une grande importance à l'échange avec ses lecteurs. C'est avec humour qu'il présente ses expériences, comme son heureux échec à l'agrégation de philosophie, et dévoile, dans les coulisses de la création, son idéal de littérature:écrire des romans avec de la «philosophie de contrebande».Par leur complémentarité, ces conférences racontent le parcours de Michel Tournier et révèlent ses sources d'inspiration:il s'agit souvent de sa relation avec les livres qui l'ont inspiré, ceux de Kant, Flaubert ou Jules Verne, ou avec les personnalités qui l'ont marqué - on croise même le président Mitterrand descendant d'hélicoptère. Il arrive aussi qu'il dérive vers ses relations avec les éditeurs et les termes des contrats passés, ou bien vers les enquêtes préalables aux romans.Voici une traversée malicieuse de l'oeuvre de Tournier par Tournier, qui en montre l'extraordinaire cohérence et donne envie de tout (re)lire sans plus attendre.
« Ma patrie, c'est le langage » : c'est sous le patronage de cette formule de Jorge Semprún, citée et analysée par Herta Mu¨ller dans le premier des textes de ce volume, que l'on peut placer les onze textes ici réunis.
Extraits de trois recueils publiés entre 1995 et 2011, et choisis pour la résonance qu'ils créent entre eux, ces essais relèvent à la fois de l'étude linguistique - notamment entre le roumain et l'allemand -, de la réflexion poétique - au moyen de mots qui condensent les signifiants et peuvent les déployer quand on s'y attend le moins - et du témoignage historique d'une exilée politique.
Les lecteurs de Herta Mu¨ller y découvriront un ton parfois très personnel, où le récit de la Roumanie des années Ceausescu s'appuie sur certains événements privés bouleversants ; mais ce recueil peut également se lire comme une formidable entrée dans l'oeuvre du Prix Nobel de Littérature, tant il présente en un seul livre le terrible tableau d'une société explorée par la romancière notamment dans Animal du coeur, le rapport au langage singulier de la poétesse découpant des mots dans le journal, et la pensée analytique fulgurante de la théoricienne.
Ce recueil - qui va de février 1943 à janvier 1987, peu avant la disparition de l'auteur de Si c'est un homme - rassemble toute l'oeuvre poétique de Primo Levi. Non sans une pointe d'ironie, l'auteur, dans un bref avant-propos, s'excuse auprès des lecteurs d'avoir cédé de temps à autre, «à une heure incertaine», à l'obscur désir d'écrire des vers : comme si cette impulsion venue des tréfonds de nous-même, d'une sorte d'enfance de l'âme, précédait puis accompagnait en sourdine notre éveil à la rationalité et à la lucidité adultes ; l'éveil à une réalité non moins implacable qu'inéluctable, où la dignité revêt le visage du stoïcisme et de ses vertus, avec, cependant, en arrière-fond, les paradis perdus de la tendresse humaine. Et l'on se prend à songer au bateau de papier que lâche l'enfant, au couchant, sur la flaque.
Invité à l'université de Princeton en 2015, Mario Vargas Llosa accepta d'y travailler avec Rubén Gallo à un ouvrage qui puisse offrir à ses lecteurs un parcours original de sa vie et de son oeuvre. L'atelier du roman est le résultat de cet exercice. Mais il ne s'agit pas d'un livre universitaire ou académique. Au cours d'une série de conversations intelligentes, accessibles et ouvertes, le Prix Nobel péruvien revient sur des épisodes de sa biographie littéraire et politique, et nous parle également des secrets de sa cuisine littéraire, de ses lectures et de son travail d'écriture.
Les pages où il décrit ses multiples recherches autour de la figure du dictateur Trujillo, ou celles où il évoque le Pérou du tyran Odrfa, sont ici autant d'invitations à relire ses chefs-d'oeuvre La fête au Bouc et Conversation à La Catedral. Mais le livre nous offre en réalité deux perspectives parallèles : celle de l'auteur - qui raconte la fabrication de ses histoires - et celle du critique ou du lecteur qui analyse leur réception. Ces deux voix s'entrecroisent avec celles des étudiants qui ont eu accès à l'extraordinaire collection de manuscrits et documents personnels que Vargas Llosa a confiée naguère aux archives de Princeton.
L'atelier du roman culmine sur l'intervention émouvante de Philippe Lançon, rescapé de l'attentat contre Charlie Hebdo, qui préfigure son bouleversant récit intitulé Le lambeau (Gallimard, 2018). L'échange entre le Prix Nobel et le journaliste de Libération sur le terrorisme constitue sans conteste l'un des temps forts de ces conversations et un brillant point final à un livre sur les rapports toujours conflictuels entre littérature et politique.