«À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi.»Annie Ernaux.
Depuis l'Antiquité, le mythe de Pygmalion et Galatée n'a de cesse de fasciner et d'inspirer des artistes. Mais ce récit millénaire du sculpteur misanthrope, épris de la statue qu'il vient de réaliser, demeure inachevé : lorsque Galatée est transformée en être vivant par les dieux, elle est réduite au silence par les hommes. Enfin, il est temps pour elle de devenir la narratrice de sa propre histoire et ainsi de choisir elle-même son destin.
Une bande de garçons de six à douze ans se trouve jetée par un naufrage sur une île déserte motagneuse, où poussent des arbres tropicaux et gîtent des animaux sauvages. L'aventure apparaît d'abord aux enfants comme de merveilleuses vacances. On peut se nourrir de fruits, se baigner, jouer à Robinson.
Mais il faut s'organiser. Suivant les meilleures traditions des collèges anglais, on élit un chef. C'est Ralph, qui s'entoure de Porcinet, « l'intellectuel » un peu ridicule, et de Simon.
Mais bientôt un rival de Ralph se porte à la tête d'une bande rivale, et la bagarre entre les deux bandes devient rapidement si grave que Simon et Porcinet sont tués. Ralph échappe de justesse, sauvé par l'arrivée des adultes.
Ce roman remarquable a un sens allégorique qu'il n'est pas difficile de comprendre : c'est l'aventure des sociétés humaines qui est tragiquement mise en scène par les enfants. Mais l'oeuvre vaut avant tout par la description de leur comportement et par l'atmosphère de joie, de mystère et d'effroi qui la baigne.
«Le monde magnifique et horrible de Mariana Enriquez, tel qu'on l'entrevoit dans Les Dangers de fumer au lit, avec ses adolescents détraqués, ses fantômes, les miséreux tristes et furieux de l'Argentine moderne, est la découverte la plus excitante que j'ai faite en littérature depuis longtemps».
Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littérature.
Peuplées d'adolescentes rebelles, d'étranges sorcières, de fantômes à la dérive et de femmes affamées, les douze histoires qui composent ce recueil manient avec brio les codes de l'horreur, tout en apportant au genre une voix radicalement moderne et poétique. Si elle fait preuve d'une grande tendresse envers ses personnages, souvent féminins, des êtres qui souffrent, qui ont peur, qui sont opprimés, Mariana Enriquez scrute les abîmes les plus profonds de l'âme humaine, explorant de son écriture à l'extraordinaire pouvoir évocateur les voies les plus souterraines de la sexualité, du fanatisme, des obsessions.
Un homme transformé en chien par un quotidien millimétré ; des êtres privés de plaisir qui préfèrent devenir aveugles plutôt que de voir ce qu'ils ratent ; une femme, recluse depuis l'adolescence, qui tente de garder un lien lucide avec le monde en écrivant sa vie en poèmes ou une autre attendant sous la neige que son amant caché dans le verglas la prenne dans ses bras... Qui veille sans relâche derrière la petite lucarne qui ne s'éteint jamais ? Est-ce le grand-père voyant défiler sur Instagram l'arrogance de sa progéniture ou la mère qui couve son fils de tant de présence qu'elle l'efface ? Claire Castillon écrit la solitude, l'absence d'amour, l'incompréhension entre les êtres, mais aussi la lumière, l'espoir. De ces nouvelles surprenantes, parfois fantastiques, parfois grinçantes et drôles, se dégage un univers parfaitement singulier.
«Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j'aimerais aujourd'hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement.» Dans ces deux discours, Chimamanda Ngozi Adichie porte une voix, rare et puissante, d'émancipation.
«Lorsque j'ai rencontré Ehlmann, il était debout sur le bord de la route, sa voiture garée en catastrophe sur la bande d'arrêt d'urgence, feux de détresse allumés. J'ai vu qu'il souriait, que tout son visage était tordu de larmes et de rires à la fois, j'ai pensé qu'il était fou.»Avec Les orages, Sylvain Prudhomme explore ces moments où un être vacille, où tout à coup il est à nu. Heures de vérité. Bouleversements parfois infimes, presque invisibles du dehors. Tourmentes après lesquelles reviennent le calme, le soleil, la lumière.
Dans un univers sombre et magnétique, où les époques et les lieux se superposent jusqu'au vertige, Gabriel, Damien ou Natasha se débattent avec de vieilles peurs héritées de l'enfance et leurs pulsions les plus inavouables.
Jérémy Fel entraîne ici son lecteur dans un imaginaire éblouissant, où cruauté et trahison règnent en maître. Comme dans un palais des glaces, les destins se répondent et se reflètent, créant un monde où visible et invisible, réel et fiction, se confondent.
«Légendes saisies en vol, fables ou apologues, ces Nouvelles Orientales forment un édifice à part dans l'oeuvre de Marguerite Yourcenar, précieux comme une chapelle dans un vaste palais. Le réel s'y fait changeant, le rêve et le mythe y parlent un langage à chaque fois nouveau, et si le désir, la passion y brûlent souvent d'une ardeur brutale, presque inattendue, c'est peut-être qu'ils trouvent dans l'admirable économie de ces brefs récits le contraste idéal et nécessaire à leur soudain flamboiement.»Matthieu Galey.
Quatre récits à suspense, quatre héroïnes aux prises avec des secrets familiaux tous plus glaçants les uns que les autres. Ainsi en va-t-il de Clare qui reçoit en héritage de parents inconnus une étrange propriété à Cardiff, dans le Maine, ou encore de Mia, enfant solitaire qui apprivoise une chatte sauvage et trouvera en elle sa plus fervente protectrice face aux hommes violents de son entourage.
Avec Cardiff, près de la mer, Oates offre une plongée virtuose au coeur de la psyché féminine, entre cauchemars et réalité, semant le doute dans l'esprit du lecteur terrifié.
Visionnaire lors de sa parution en 2001, ce recueil de nouvelles d'Olga Tokarczuk n'a rien perdu de son mordant, ni de sa pertinente actualité. Avec une espièglerie qui rappelle Nabokov, la romancière polonaise nous dévoile un quotidien truffé de portes secrètes, de miroirs traversés et d'autres distorsions de l'espace et du temps. Une année à Berlin, un séjour au Mont-Noir, un mois de résidence en Écosse, sont le point de départ de plusieurs de ces nouvelles, et l'on verra que l'anodin d'une bourse d'écriture peut conduire aux paradoxes les plus fous.
Comment les gens se comportent-ils lorsque se brouillent les frontières entre fiction et réalité ? Un écrivain surprend un matin, assis à sa table, un double de lui-même qui corrige tranquillement son dernier manuscrit... Une lectrice de romans policiers trouve le moyen d'intervenir dans l'intrigue, beaucoup trop molle, du mauvais polar qu'elle a commencé... et les morts, soudain, vont se multiplier. En séjour à Berlin, une femme d'âge moyen s'étonne de devenir quelconque dans le maelstrom de la grande ville, avant de goûter au plaisir de pouvoir être n'importe qui : tour à tour une Turque voilée, un homme d'affaires, une petite fan de Britney Spears...
Foi qui se questionne, désir déçu, homosexualité qui ne peut se dire, âpretés de l'exil... Dans ces deux nouvelles, l'auteure d'Americanah tisse magistralement les trajectoires de personnages pour lesquels «la terre des origines» est lointaine et que secouent d'intimes déchirements. «Le jour où un avion s'écrasa au Nigeria, le même jour où la première dame nigériane mourut, on frappa fort à la porte d'Ukamaka à Princeton. Les coups la surprirent car personne ne se présentait jamais à sa porte sans prévenir - on était en Amérique, après tout...»
«Très cher père,Tu m'as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d'habitude, je n'ai rien su te répondre...»Réel et fiction ne font qu'un dans la lettre désespérée que Kafka adresse à son père. Il tente, en vain, de comprendre leur relation qui mêle admiration et répulsion, peur et amour, respect et mépris.Réquisitoire jamais remis à son destinataire, tentative obstinée pour comprendre, la Lettre au père est au centre de l'oeuvre de Kafka.
Extrait des Chevaux fantômes et autres contes (Folio)
«Miss Campbell écoutait sans dire un mot, et levait parfois ses beaux yeux sur le jeune homme, qui ne cherchait point à la gêner de ses regards. Elle ne put s'empêcher de sourire, lorsqu'il parla de sa chasse ou plutôt de sa pêche aux nuances marines. Est-ce qu'elle aussi n'était pas en quête de pareille aventure, un peu moins périlleuse, toutefois, la chasse aux nuances célestes, la chasse au Rayon-Vert ?»Lorsque deux jeunes téméraires se mettent en quête du rayon vert, phénomène optique aussi spectaculaire que rare... L'irrésistible histoire d'amour, insouciante et espiègle, qui inspira le cinéaste Éric Rohmer.
« De tous les talents ordinairement en possession de mon sexe j'étais la maîtresse. Au couvent, mes progrès avaient toujours été plus grands que ne le permettait l'instruction reçue, les connaissances dont je disposais étonnaient chez quelqu'un de mon âge, et je surpassai bientôt mes maîtres.
Toutes les vertus susceptibles d'orner un esprit se retrouvaient dans le mien. Il était le lieu de rencontre de toutes les qualités et de tous les sentiments élevés. Mon seul défaut, s'il mérite ce nom, était de posséder une sensibilité trop vive, prompte à s'émouvoir de toutes les afflictions de mes amis, et plus encore des miennes. » Dans ce court roman épistolaire composé par Jane Austen à l'âge de quinze ans se goûte déjà la plume de la maturité, aussi délicate qu'ironique.
Souvenirs, tendresse, promenades, contes de fées, l'heure du coucher... Baudelaire, Saint-Exupéry, Cocteau, Proust ou Hemingway, tous ont partagé ces moments privilégiés de l'enfance avec leur maman. Plus tard, les difficultés sont apparues, les désaccords ont parfois séparé les fils de leur mère, mais le sentiment irremplaçable d'un amour sans limites n'a jamais disparu.Ces lettres témoignent de ces histoires passionnées, des disputes et des réconciliations, des chagrins et des joies de quelques-uns des plus grands écrivains avec la femme qui leur a donné la vie.
Nouvelles extraites d'Oeuvres romanesques, I (Bibliothèque de la Pléiade)
À Dublin, Paris, New York ou dans le Michigan, des Américains et des Irlandais sur le second versant de leur vie se penchent sur leur passé. Comme Jonathan Bell, Ricky Grace et les autres, tous sont confrontés à une forme de solitude, de dépaysement ou simplement de rupture. Richard Ford les observe. Non sans une certaine ironie, il décrit leurs doutes et leur inconfort, met en scène leurs désarrois et recueille leurs confidences.
Texte extrait du volume Théâtre complet, I (Bibliothèque de la Pléiade)
Quand l'anticipation géopolitique prédit le monde d'après...
La Red Team n'est pas la nouvelle série Netflix. Et pourtant, sous ce nom de code, un commando a mené une opération pionnière particulièrement haletante.
Pour la première fois, le ministère français des Armées et l'Université Paris Sciences et Lettres ont lancé un projet de prospection novateur. Analystes et chercheurs ont partagé librement leurs réflexions avec des auteurs et dessinateurs pour imaginer les conflits possibles à l'horizon 2030-2060 : création d'une nouvelle nation pirate née des changements climatiques, hacking éventuel des implants neuronaux, émergence de sphères communautaires développant une réalité alternative, fragmentation du réel, crises environnementales et bioterrorisme, guerres cognitives s'appuyant sur la désinformation de masse, polarisation du monde en hyperforteresses et hyperclouds.
Un polar d'anticipation géopolitique dans lequel il n'est pas interdit de lire notre avenir proche.
À propos des auteurs La Red Team est composée de dix auteurs de science-fiction et de romans noirs : François Schuiten, Jeanne Bregeon, Colonel Hermès, Capitaine Numericus, Virginie Tournay, Laurent Genefort, Romain Lucazeau, Xavier Mauméjean, Xavier Dorison, DOA.
L'un des 30 livres de l'année 2022 selon le Palmarès Le Point !
« Bouclez votre ceinture et plongez dans ces scénarios fous... mais réalistes. » Le Point « Un ouvrage aussi fascinant que glaçant. » France Inter « Tout ce qui est dans ce livre est très vrai à l'horizon d'une dizaine d'années. » Yann Barthès, Quotidien
«D'abord destiné à la troisième partie des Misérables, et originellement intitulé Les Fleurs, ce texte a été retiré du manuscrit, écarté mais non oublié, l'auteur souhaitant le réserver pour un autre projet, «mon travail sur L'Âme», note-t-il. Preuve que ces pages, venues du roman de 1862, portées par les silhouettes difformes des voleurs et des escarpes, se détachent et regardent vers un autre horizon ; elles désignent un plan supérieur, idéal, spirituel et métaphysique, auquel Hugo entendait sans doute consacrer les dimensions d'un livre. Retenons simplement l'impératif qui s'en dégage : scruter le fond de l'âme. Et pour ce faire, procéder par degrés, aller du fini à l'infini, de l'immanent au transcendant.» Henri Scepi. «Prostitution, vice, crime, qu'importe ! La nuit a beau s'épaissir, l'étincelle persiste. Quelque descente que vous fassiez, il y a de la lumière. Lumière dans le mendiant, lumière dans le vagabond, lumière dans le voleur, lumière dans la fille des rues. Plus vous vous enfoncez bas, plus la lueur miraculeuse s'obstine.»
«Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre.» Exergue du Dictionnaire des idées reçues - oeuvre inachevée aux multiples manuscrits -, cette maxime de Chamfort en donne le ton incisif. «Actrice», «mélancolie», «pédantisme», «voyageur», «candeur», «duel», «laboureurs», «religion»... Sur des sujets aussi variés, Flaubert y relève en effet pensées figées et lieux communs, traquant la vacuité avec une ironie mordante.«Dictionnaire : En rire - n'est fait que pour les ignorants.»
«J'ai retrouvé une lettre de P. dans un dossier de factures datant des années quatre-vingt. Une grande feuille blanche pliée en quatre, avec des taches de sperme qui avaient jauni et durci le papier, lui donnant une contexture transparente et granuleuse. Il y avait seulement écrit, en haut, à droite, Paris, 11 mai 1984, 23 heures 20, vendredi. C'est tout ce qu'il me reste de cet homme.» Passion sensuelle, amour maternel heurté, vertiges du transfuge, écriture-révolution, hommage à Pierre Bourdieu... En douze textes, composés entre 1984 et 2006, ce recueil est une invitation à découvrir l'écriture rare d'Annie Ernaux et à s'initier, pas à pas, à ses thèmes les plus obsessionnels et fondateurs.